Le mot du mois

LE MOT DU MOIS

"Manger, c'est incorporer un territoire".

Jean Brunhes, géographe français (1869-1930)

---

"Au fond des provinces, il existe des Carême en jupon, génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie".

de Balzac, La Rabouilleuse, 1842.

---

"Les animaux se repaissent, l'homme mange, l'homme d'esprit seul sait manger"

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).

---

_________________________________________________________________________________________________________________

lundi 2 février 2015

LA COUR DES GRENADES


Aujourd'hui, nous nous invitons à la Cour des grenades, restaurant flirtant avec la technopole à Sainte-Clotilde, entre les deux ponts sur la rivière des Pluies. L'établissement, de la rue, à l'air d'un snack de quartier avec sa queue de travailleurs aux plats à emporter. 

Au fond, la salle compte plus de soixante-dix couverts, dans la presque pénombre. Ça manque d'éclairage. Nous avons le choix entre les plats du jour (sur place ou à emporter) et le buffet à volonté, composé de crudités et de fritures diverses, entre autres. 
Une jeune fille nous accueille avec le sourire, et perd un peu ses moyens quand nous la questionnons sur les tarifs des boissons, ou la composition d'un dessert du buffet qui nous a fait de l'œil. C'est bien gentil tout ça, mais c'est un peu amateur.
Au menu du jour : sauté de mines aux sarcives de porc (dont les effluves traversent le boulevard Sud), riz chauffé morue piment, shop-suey poulet, sauté de porc aux oignons, rougail morue du vendredi, rôti de porc et poisson croustillant.
Nous optons pour le riz chauffé avec un rougail morue pour un supplément de 2 € par rapport à l'assiette standard vendue à 10. Plus un rougail « exotique » en accompagnement.
Le temps d'écluser l'apéritif, la salle se remplit soudain de clients, et l'ambiance devient passablement assourdissante. Si vous souhaitez parler affaires tranquillement, vous n'êtes pas au bon endroit. Du côté des plats à emporter, la queue ne faiblit pas. Bon signe.
Notre assiette arrive et nous tombons dessus à bras raccourcis.

Le rougail morue est superbement assaisonné et travaillé. Il nous envoie des saveurs magnifiques, aux accents subtilement sucrés de tomates mûres en premier lieu, qui se transforme vite en un fumet délicat laissant comme une saveur lointaine de sucré salé chinois. En revanche, la morue elle-même ne dit pas grand-chose. Sa saveur fouettante caractéristique manque de peps, comme trop dessalée, et sa chair (particulièrement les plus gros morceaux) est dure et sèche comme une gouvernante victorienne ménopausée. Une vieille morue quoi. Un séjour trop prolongé au bouillon et dans l'huile chaude, combiné à la qualité même du poisson, en sont probablement la cause. 


Le défaut se sent moins dans la morue du riz chauffé. Un nom qui sonne très "tradition", mais qui est un peu surfait en l'occurrence. En effet, le plat partage davantage d'ADN avec le bon vieux riz cantonais qu'avec le petit déjeuner d'antan, savouré par les travailleurs des champs à l'heure où les coqs sonnent l'aurore. Car, certes, la morue y prend ses aises, gratifiant le riz long grain d'une petite lubrification de bon aloi assortie de sa saveur intrinsèque. Même si lu lé, in trin, sec. Mais l'ascendance asiatique du plat transpire de ses oignons verts trop bavards, et des notes de gingembre en pointillé. Le piment, qui nous a fait une timide apparition à la première bouchée, finit par disparaître de la circulation, ce qui vis-à-vis d'un riz chauffé est totalement inconvenant. Foin de circonlocutions identitaires, ce riz frit est tout à fait correct.

Mention spéciale pour le rougail "exotique", composé d'orange, d'ananas et de citron. Le tout pimenté comme il faut. Cette succulente chose, ananas devant, citron derrière, sucrée et acidulée, rappelle furieusement les fameuses salades de mangues et d'ananas pimentées qui vous font terminer le repas langue dehors et incisives à l'air, mais avec le contentement au cœur. 

Nous terminons par la patate douce, au buffet des desserts. C'est déjà une bonne chose de mettre à l'honneur ces douceurs créoles traditionnelles. C'est assez rare pour être souligné. Ca l'est d'autant plus que ce dessert nous a provoqué une exultation jouissive à n'en plus savoir où donner des papilles. Les morceaux de patate fondants, enrobés dans leur jus épais où vanille et cannelle se renvoient la balle, glissent tout seuls en laissant sur la langue leur souvenir velouté. 
Addition : 19 € en tout et pour tout. Un rapport qualité-prix correct.

La cour des Grenades jouit d'une réputation certaine dans le secteur, ainsi que d'un emplacement stratégique. Un site internet, une page facebook, des soirées karaoké les vendredis et samedis contribuent à son succès. Les locaux en deviennent un peu exigus, et l'accès au buffet n'est pas des plus pratiques quand il y a du monde. Le personnel est sympathique, le service est globalement satisfaisant et la cuisine aussi. Quelques originalités permettent à cette dernière de ne pas ronronner, même si elle souffre visiblement des effets pervers de son propre succès : les plats sont bons mais attention, la qualité ne doit pas pâtir de la quantité. En ce qui nous concerne, excepté quelques détails et une morue raide comme la justice, nous avons plutôt apprécié notre repas. Cette appréciation ne valant pas pour le buffet, puisque nous n'y avons pas touché. Pour cette cuisine efficace, nous attribuons à la Cour des grenades une juste fourchette en argent.


Pour résumer : 
Accueil : perfectible • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
Service : bien • Qualité des plats : bons
IMPRESSION GLOBALE : BONNE TABLE
FOURCHETTE EN ARGENT


Réagissez à cet article