Le mot du mois

LE MOT DU MOIS

"Manger, c'est incorporer un territoire".

Jean Brunhes, géographe français (1869-1930)

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"Au fond des provinces, il existe des Carême en jupon, génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie".

de Balzac, La Rabouilleuse, 1842.

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"Les animaux se repaissent, l'homme mange, l'homme d'esprit seul sait manger"

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).

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lundi 23 mars 2015

LE REGAL' EST


Il est un humour météorologique créole qui dit qu'à Saint-Benoît, 
il y a deux saisons : la petite saison des grandes pluies et la grande saison des petites pluies. On a dû passer entre les deux car aujourd'hui, il ne fait pas si mauvais que ça, bien que le ciel soit couvert.

C'est dans cette sous-préfecture que nous nous sommes donc arrêtés afin de déguster la cuisine du Régal' Est, restaurant créole et métro ayant ses quartiers en mezzanine du marché couvert.
Plancher de bois, fougères aux murs, tables joliment dressées, plus la vue sur le marché, le décor est assez plaisant pour vous mettre en appétit, et l'on oublie vite la chaleur que quelques ventilateurs s'épuisent à atténuer.
Point de menu du jour ici, c'est donc dans la carte, très riche, que nous puiserons les deux plats pour notre test. 
7 entrées froides, 7 entrées chaudes, 9 caris à base de poissons et crustacés, 9 caris à base de viande, 17 plats d'inspiration métropolitaine (poissons et viandes), plus 1 plat végétarien et deux menus enfants, soit une cinquantaine de plats, sans compter les desserts. Ce n'est plus une brigade qu'il faut en cuisine, mais un régiment, ou bien le chef et ses adjoints sont des Luky Luke de la poêle à frire, ou bien une bonne partie des plats est surgelée. Nous ne nous attendons donc pas à trouver ici (que) des caris cuisinés avec des produits frais et pourtant, l'un d'entre eux est annoncé comme tel : le poisson rouge, que nous commandons, avec un rougail zandouilles.
Pour le reste, cari bichiques (en saison), bouillon coquilles, rôti de sanglier « des hauts », civet d'oie,  boucané brèdes manioc et cari zanguilles ont le mérite de sortir des éternels sentiers battus par les caris de poulet et rougail saucisses, qui sont aussi présents.

Nous goûtons d'abord au rougail zandouilles. Notre première impression est plutôt bonne. La charcuterie est présentée en petits morceaux, avec une sauce convenable à l'aspect et à l'odeur. La cuisson est correcte. Tout est assez tendre, les foulures de mâchoire ne sont pas à craindre. En revanche, si la sauce affiche un petit arrière goût sucré qui compense un sel du coup raisonnable, le tout manque de relief. Le poivre est éteint et le fumet de l'andouille est somnolent. C'est assez bon pour finir le plat mais cela ne fait pas d'étincelles.
Le poisson pour sa part, de petite taille, est présenté entier, baignant dans une belle sauce jaune orangée. Nous nous étonnons d'abord de la discrétion olfactive dont il fait preuve, mais la dégustation est sans appel. Nous avons le sentiment d'être pris pour ce que nous avons mangé juste avant!
En effet, sur la carte il est bien mentionné « poisson rouge frais ». Si « frais » veut dire en l’occurrence « refroidi », c'est bien le cas, car il est patent que l'animal a subi les outrages d'une congélation prolongée, et cela fait naître aussi quelques doutes sur son arbre généalogique. S'il sort de nos eaux, celui-là, il est bien mal fagoté. Sa chair se délite en lamelles au goût de plastique qui n'ont aucune espèce de fondant et dont une partie reste accrochée à l’arête centrale. Si la sauce n'est pas trop mal réussie, elle n'a pas cette épaisseur légèrement gluante qui fait habituellement son charme. Cette dernière et le poisson, plutôt que de s'imbiber et se mélanger mutuellement, se regardent en chiens de faïence comme si la bestiole encore froide avait été larguée dans le jus sans plus de manières.
Elle ressemble comme deux gouttes d'océan à un autre congénère que nous avons croisé au détour d'un meuble frigorifique au supermarché. Déçus nous sommes, même si l'ensemble est mangeable, elle est loin la magnificence du cari de poisson rouge traditionnel.
Passons sur les accompagnements : un rougail concombre ordinaire et des haricots blanc, en boite, trop salés.



Addition : 37 euros pour deux personnes, hors boissons, sans entrées et sans dessert. Cher pour ce que c'est.

Avec ses atours jolis, le Régal Est fait de l'épate, mais ça s'arrête là. Le ramage n'est pas à la hauteur du plumage. Fondamen-talement, la lecture de la carte est révélatrice de ce genre de restaurant - cantine, qui, pour ratisser large, propose une palanquée de plats, dont certains notons-le quand même, ne manquent pas de panache. Mais le client exigeant, lui, n'est pas dupe. Il ne s'attend pas à y trouver des plats préparés avec amour et des produits de qualité, mais une cuisine ordinaire faite à l'économie, et surtout rentable, derrière le maquillage et les froufrous. Après tout pourquoi pas, si c'est la politique de la maison, mais nous trouvons l'addition un peu salée, sachant que pour ce prix là, on a davantage de qualité (voire de quantité) ailleurs. 
La cuisine du Régal' Est n'est pas mauvaise, mais elle manque singulièrement de caractère, si l'on se base sur les plats que nous avons dégustés. La fourchette en argent est manquée de peu. Sous réserve de plats miraculeux ou tout au moins mieux exécutés et avec des produits vraiment frais, nous ne pouvons qu'adresser au Régal' Est une fourchette en inox.

Pour résumer : 
Accueil : bien • Cadre : très bien • Présentation des plats : bien
Service : moyen • Qualité des plats : moyen
IMPRESSION GLOBALE : MOYEN

FOURCHETTE EN INOX

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lundi 9 mars 2015

LA TABLE CREOLE


La Table créole, février 2012. Nous étions sortis satisfaits et repus de ce restaurant de la Possession, en ayant dégusté un rougail chevaquines et un rougail morue, ce qui leur avait vallu une fourchette en argent. Trois ans après, nous avons voulu savoir si la qualité a progressé.

En lieu et place du soleil à assoiffer les chameaux qui nous avait accueilli la première fois, nous avons droit aujourd'hui à un ciel lourd, suivi d'un orage et de hallebardes.
Au menu du jour : pavé de thons, frites, salades ; paëlla maison ; Poulet fermier fumé au palmiste frais ; cari de filet de dorade ; rôti de porc aux champignons et massalés d'agneau.
La carte est toujours aussi complète. Tout le monde y trouvera son compte entre les shop-suey divers et les grillades. Le poulet et le poisson remportent nos faveurs.

Le temps de nous désaltérer, nous apprécions quelques menus progrès dans la décoration par rapport à notre précédente visite. Tout à l'air plus net, tout en demeurant convivial, et des ventilateurs-brumisateurs ont été installés pour plus de confort par grandes chaleurs, sous cette vaste terrasse de plus de 100 couverts.
Service rapide. Et l'odeur du cari de poulet précède la jeune femme qui nous l'emmène. Nous commencerons par là. Déjà, la viande atteste par sa texture ferme sa descendance fermière. La couleur orange foncée luisante est tout à fait seyante, ce qui complète parfaitement nos premières sensations olfactives. Presque pas de surprise donc à la dégustation : la viande souple et ronde, où les arômes de cari ont pénétré, affiche le caractère authentique des caris de grand-mère cuits au feu de bois, avec sa saveur de fumé qui monte au nez et sa finale subtilement sucrée de miel. Un délice à sucer les os avec les doigts, ce que nous ne nous sommes pas privés de faire !
Pendant ce temps, nos voisins de table disparaissent derrière leur paella.

Le cari de dorade est de même facture. La chair, du filet, et sans arêtes donc, est d'un fondant jouissif. Elle se délite toute seule en bouche avec sa sauce parfumée que relève avec panache un combava conquérant. Une sauce de cari exécutée de main de maître, où toutes les épices se sont fondues dans une union safranée tout simplement divine. Qu'eût donc été ce plat s'il se fût agi d'un de nos fameux poissons rouges ? Une extase sublime ! Une montée au septième ciel de la gastronomie créole ! Seul manquait à l'appel un piment vert "crasé" qui eût convenu à merveille à cette démonstration culinaire de grand chef créole.
À la place, deux rougails ont joué leur partition. Un concombre honnête, qui doit mieux chanter avec le massalé, et un rougail Dakatine au tonus impressionnant, tant au niveau du goût qu'à celui du piment. Une affaire dont la couleur trahit un roussi d'une expertise rare dont tous les autres plats ont, subodorons-nous, bénéficié. Les grains aussi.
Le riz est parfait. Ni trop sec, comme un basmati en manque d'eau, ni trop mou. Du bon riz bien goûteux pour accompagner des plats d'exception, et qui plus est servi en juste quantité.

Ce repas réussi nous a coûté 31 euros pour deux personnes, hors boissons. Nous en avons eu pour notre argent, c'est le moins que l'on puisse dire.

"Quand j'ai appris que j'avais eu la fourchette en argent, par des amis, j'étais très contente que ma cuisine soit appréciée" nous confie Keza, la patronne de la Table créole. Cette pimpante dame aux yeux pétillants, dont les parents étaient restaurateurs, est une autodidacte de la cuisine. Et depuis l'âge de 15 ans, elle n'arrête pas, cherchant à s'améliorer, toujours à l'affût de connaissances. La fourchette en argent ne la satisfait donc pas, elle veut faire encore mieux. 
Elle met tout son coeur dans sa cuisine, et la clientèle ne s'y trompe pas. Nous n'avions pas terminé notre repas que les caris de dorades continuaient à sortir. Il est rare de trouver ce genre de cuisine créole traditionnelle, avec des saveurs si vraies, si authentiques. Preuve que les hauts et le sud sauvage n'en ont pas l'exclusivité. Voilà pourquoi nous avons le plaisir de décerner à Keza et toute son équipe la note suprême : une belle et méritée fourchette d'or.


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Pour résumer : 
Accueil : très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : bien
Service : très bien • Qualité des plats :  excellents
IMPRESSION GLOBALE : EXCELLENTE TABLE

FOURCHETTE EN OR