Le mot du mois

LE MOT DU MOIS

"Manger, c'est incorporer un territoire".

Jean Brunhes, géographe français (1869-1930)

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"Au fond des provinces, il existe des Carême en jupon, génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie".

de Balzac, La Rabouilleuse, 1842.

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"Les animaux se repaissent, l'homme mange, l'homme d'esprit seul sait manger"

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).

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Nos découvertes


LES BUNGS D'AMOUR : GITE, COUVERT ET AMBIANCE FAMILIALE A GRAND ILET
Alice et Anicet Damour

Alice Turpin est une femme "de tête". Le genre de madame qui se respecte, et qu'on embrasserait aussi comme du bon pain, tellement sa pèche fait plaisir à voir. Elle nous accueille en ce bel après midi de janvier aux "Bungs d'Amour", pour le week-end. 
Notre hôtesse est une expatriée revenue de "Ti Salazie", à savoir le quartier de Saint-François à Saint-Denis. "J'ai un peu arrangé le nom de Monsieur" rit-elle. Monsieur, c'est Anicet Damour (prononcez anicé…). L'enfant du pays tient l'épicerie familiale quelques virages plus haut, en plus de préparer des saucisses à tomber par terre et d'avoir un jeu de coude bien huilé pour ce qui est de vous remplir votre verre de rhum arrangé. C'est donc avec la simplicité joviale des gens des hauts que le couple nous présente leur gîte, autour d'un civet de canard flambé au rhum à damner un végétarien.
Le projet a vingt ans d'âge. Ils ont pu le concrétiser il y a quatre ans, "sans aide" tiennent-ils à dire, en sortant près de 80 000 euros quand même, piscine chauffée incluse. 3 bungalows de 5 places et un dortoir de 12 accueillent les touristes de passage et autres mordus de la crapahute, comme notre marcheur compulsif et collègue émérite Dupuis Alain ci-devant journaliste qui vous randonne tous les dimanches (voir page 25).

Tout le confort est là, y compris l'équipement nécessaire pour vous concocter votre pitance : vaisselle, cuisinière, frigo. Et on oublie la télé, faut quand même pas pousser, vous n'êtes pas là pour boire de la purée audiovisuelle mais pour méditer avec profondeur la paix du lieu et vous perdre sans modération dans la contemplation béate du Cimendef en arrière plan et de sa majesté le Piton des Neiges, magnifique par un temps de curé comme celui que nous avons eu. La piscine chauffée est un plus appréciable, et pas que pour la marmaille, surtout en hivers, gageons-nous. 

Spécialités : coq et canard
Si, après avoir mangé du sentier toute la sainte journée, cuisiner vous casse les pieds, vous pouvez aussi profiter des talents culinaires du couple qui vous arrangera ses spécialités emplumées, canard et coq péi, à la sauce cari, civet ou massalé. Des plats universels puisque toutes les confessions pourront y goûter. Ce qui n'empêche pas Anicet de charcuter de temps à autre. 
L'emblème du cirque pour sa part vous est servi aussi sous les formes les plus variées : du gratin parfumé à la daube déontologique en passant par les gâteaux et les salades. Vous apprendrez ainsi tous les mystères de la chaillotte, l'intimité de la christophine, la vie cachée du chouchou, et de sa goûtue et recherchée patate, qui se débusque vers octobre-novembre, dans la riche terre de Salazie. Du chouchou vert foncé au classique lisse ou à épines, Alice et Anicet travaillent tout, avec une préférence peut-être pour le "petit blanc". Le yab-chouchou, pourrait-on dire.
Et l'anglais ? "Les filles nous aident", déclarent nos hôtes en se rappelant le jour où plusieurs nationalités s'étaient retrouvées à leur table. "Mais nous arrivons à nous faire comprendre", sans doute par le seul langage universel depuis Babel : celui du cœur.
Et la concurrence ? Active. A Grand-Ilet les gîtes ruraux et autres chambres d'hôtes poussent comme de l'herbe à vache. Anicet quand à lui revendique son indépendance par rapport à certains organismes bien connus dans le secteur d'activité, par une phrase éloquente : "à mwin mi aime pas do moun i commen' à mwin !", jugeant les règles desdits organismes trop strictes et parfois absurdes. "Ce qui nous fait notre publicité, c'est le bouche-à-oreille", ajoute Alice, concluant avec son homme que leur plus grande récompense est de voir les gens revenir. 
Et les tarifs ? Oui, il faut vivre. 25 euros par personne et par nuit pour le gîte. 16 euros par personne pour le couvert (le soir uniquement) et 5 euros par personne pour un petit déjeuner copieux, agrémenté de confitures maison. La prochaine fois, nous exigerons du «vrai» riz chauf-fé, c'est à dire tourné dans la sauce du cari de la veille, sans ajouts de viande supplémentaire, et pimenté à pleurer comme de juste, celui-là même qu'Anicet nous a vanté en se rappelant avec une petite larme les jours maigres où le créole mangeait le riz avec de la graisse et du sel. Bref, si vous cherchez la tradition, vous serez servis !
Les Bungs d'Amour vous attendent donc. 
Vous pouvez les contacter via leur site internet, lesbungsdamour.com où vous trouverez tous les renseignements utiles pour votre séjour. Tél : 0262 47 41 67 - 0692 64 31 48

Alice et Anicet

Merci à tous nos amis qui nous ont suivi sur Facebook pour ce week-end de reportage. 

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CUISINE LE MAURICIEN 
Claire et Jérôme Chamtyoo


Une ambassade de la cuisine mauricienne installée au Tampon 

Claire et Jérôme Chamtyoo ont lancé leur petite affaire en juin de cette année. L'idée est venue à Jérôme suite à un constat assez simple : la place était à prendre. En effet, si les restaurants et snacks indiens avec des plats mauriciens à leur carte existent, personne ne proposait encore de l'authentique cuisine mauricienne. Notre jeune chef a toujours eu la cuisine dans la peau. La vie l'ayant un temps entraîné vers les métiers du bâtiment, c'est à la faveur (si on peut dire) de petits soucis de dos que le voilà revenu à ce pourquoi il a toujours su qu'il était fait."On a commencé par des livraisons à la commande", précise Claire, "le local est ouvert depuis trois semaines". Cuisine le Mauricien a donc eu un peu de temps pour se constituer une petite clientèle. Et notre couple de croiser les doigts pour que la mayonnaise prenne. Il faut dire qu'ils font tout pour. "Nous ne cuisinons que des produits frais" insiste Claire. "Et l'expérience nous a appris qu'il était préférable de servir  chaud". C'est ainsi le cas pour les Dhall Puri et Faratas : la pâte est préparée peu de temps auparavant. Le goût n'en est que meilleur. Et pour en avoir ingurgité une infinitude de paires à Maurice, nous pouvons vous certifier que ceux de Jérôme sont tout à fait conformes : la petite touche farineuse de la pâte à laquelle répond la texture veloutée de la purée de pois associée à la sauce tomate épicée, le tout embaumé de caloupilé. Outre ces crêpes célèbres de l'île soeur, Jérôme propose à sa clientèle toutes sortes de plats, comme le bouillon Meefoon et le shop Suey "à la mauricienne" qui n'a rien à voir avec notre sauté de légumes, ne serait-ce que par l'aspect déjà. Ici nous avons des ingrédients coupés fins, sur un fond de jus aigre-doux à base de sauce d'huître, de gingembre et d'ail. Un délice. Les mines frits remportent le plus de suffrages : il faut dire que le plat est parfumé et pas gras, du genre qui se mange sans faim. A ne pas rater non plus : le riz frit "spécial", sans oublier les incontournables "gâteaux piment".
Cuisine le Mauricien est installé au Tampon, sur la rue Hubert Delisle en direction de Trois-Mares. Claire et Jérôme se feront une joie de vous accueillir. Ils prennent la carte bleue, rendent la monnaie sur les chèques restaurant, et pas besoin de passeport !




Cuisine Le Mauricien
430, rue Hubert Delisle au Tampon
Tél : 0692 602394

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L'Auberge gourmande
Passeport pour un retour aux sources



L'Auberge gourmande, perchée sur les pentes de Tan Rouge à Saint-Paul, fut en son temps une institution dans les hauts de l'Ouest. Une aventure qui a commencé en 1998, qui s'est poursuivie avec succès jusqu'en 2006, avec la grâce d'un référencement par les agences de voyage, avant de subir de plein fouet les dégâts collatéraux du chik. En 2010, l'Auberge tente de s'expatrier au Port, au grand dam des habitués. Une expérience enrichissante et cuisante à la fois qui décideront finalement Michel et Azeline Passeport à regagner leurs pénates campagnardes. "Sur le littoral, ce n'est pas la même façon de travailler, on n'a pas le même type de clientèle", fait remarquer Azeline, qui paraît soulagée d'être revenue dans son Tan-Rouge natal. C'est du reste dans la maison familiale que les Passeport ont aménagé le restaurant, qui, du coup, a davantage l'allure d'une table d'hôte, niché qu'il est dans son magnifique jardin créole.
Créole, d'ailleurs, on y mange. Rougail saucisses et cari de camarons, plus des « suggestions du jour » diverses en fonction des produits frais qu'Azeline déniche au marché, cette dernière ayant une prédilection pour les civets.
La carte pour sa part est surtout métro. Et les plats donnent envie : cassolette de lentilles de Cilaos au jarret de porc, aiguillettes de canard au porto, civet de sanglier à l'ancienne, camarons flambés façon Auberge ou filet de perroquet sauce basilic. La spécialité étant le cassoulet, "le cassoulet d'Azeline" nous précise la patronne autodidacte, qui ne prétend pas rester dans les canons gastronomiques du mets. Saucisses fraîches de chez le charcutier de Piton Saint-Leu, manchons de canard, travers de porc, haricots, plus le laurier-sauce de la cour composent le plat, avec le coup de cuillère du chef. 
Ce soir du 21 septembre est donc le lancement de l'Auberge gourmande du retour aux sources. Qui est au four et au moulin ? "Pour l'instant, c'est ma mère et moi" nous dit Julie Passeport, "mais nous serons certainement obligés de passer par des embauches dans les mois qui viennent", ou peut-être même les semaines. Il faudra en effet s'occuper des clients, même en dehors des réceptions diverses où l'Auberge peut accueillir jusqu'à 100 convives. Gageons qu'avec les atouts "feu de bois" + "produits frais" + "passion de la cuisine", les Passeport n'auront aucun mal à renouer très vite avec le succès.
Si vous voulez passer un moment agréable dans la fraîcheur de Tan-Rouge, réservez. Demandez à déguster les spécialités d'Azeline : le cari de camarons aux pipengailles, le massalé d'agneau ou la purée de cambar, entre autres. Et n'hésitez pas à nous transmettre vos impressions sur critiquegastronomique@jir.fr.

L'Auberge gourmande
120 chemin Cressence, Tan Rouge
0262 32 78 20 – 0692 56 19 11

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Commentaire de Bernard Giroud, laissé sur le mail :
Bonjour.
Suite à l'article sur le restaurant L'Auberge gourmande, nous avons eu envie de le redécouvrir. Nous avons réservé par téléphone pour 2 pour le diner; 
Accueil très sympathique,nous avons choisi notre table.
la carte est fournie et originale,elle nous est présentée en détail avec conviction.
Nous avons choisi comme entrées un gratin de brede chouchou aux crevettes et un jambon sec avec cornichon et du beurre puis  un croustillant de pieds de porc et un filet de perroquet sauce basilic.
jambon sec avec cornichons et beurre:
belle présentation, bonne quantité et qualité
gratin de brèdes chouchou aux crevettes:
présentation sans fioriture, manque de brède, sauce béchamel trop liquide
croustillant de pieds de porc:
belle présentation ; copieux, bon accompagnement (salade, pommes sautées à l'ail)bonne cuisson,goûteux,un peu sec, original. La serveuse nous a précisé que c'était un premier essai; c'est une innovation réussie.
filet de perroquet sauce basilic:
belle présentation, bon accompagnement (salade, pommes sautées à l'ail) , bonne cuisson ,goûteux
sauce onctueuse et fine, peu commun sur une carte de restaurant

Nous nous sommes laissés tentés par des desserts. Profiterolles et tarte aux pommes fabriqués le jour même;
nous avons apprécié les desserts.
la serveuse précise que tous les desserts sont faits maison. c'est un bon point. Temps d'attente un peu long entre la commande et l'arrivée des entrées . 
Ambiance: un fond musical aurait été agréable. Coût total 66€ ( boisson:une bouteille d'eau Edena ).
Nous y retournerons pour essayer d'autres plats .

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LES LETCHIS
Comme un goût de paradis

Il y a comme ça des lieux communs à La Réunion, concernant les fruits et légumes. On vous dit : "chouchou", vous répondez : "Salazie", on vous dit : "goyavier", vous répondez "La Plaine-des-palmistes", on vous dit : "Letchis"…vous répondez "Bras-Canot", bien sûr. Suivez un peu ! 


C’est plus loin que Bras-Canot que nous vous emmenons aujourd’hui, précisément à l’Ilet Danclas, perdu dans ce qui semble être une sorte de monde parallèle au beau milieu d’une végétation luxuriante. Le restaurant n’est pas difficile à trouver : passé le deuxième pont du patelin, tournez à droite, poursuivez la route, franchissez le radier et suivez les panneaux. Quand vous êtes sur le parking, respirez un grand coup, appréciez ces odeurs de terre humide, de mousse et de sous-bois, et écoutez le chant du feuillage épais des pieds de letchis par millier tout autour pour vous décrasser les filtres à air et mettre la pompe à tracas en veilleuse. L’accueil du restaurant se présente par un petit pont sous lequel on entend des clapotis. Puis vous arrivez dans la grande salle, avec le bar, et on vous accueille presque à bras ouverts comme si vous faisiez partie de la famille. C’est en tout cas comme ça que nous sommes accueillis, et l’on nous dirige tout de suite vers la terrasse qui borde la rivière des Marsouins, et notre émerveillement va grandissant.

Bernadette et Jean-Michel Lhomond
Les Lhomond ont lancé le restaurant dans cet endroit bucolique en 2001. L’établissement se distingue dans la préparation de produits d’eau douce ou d’eau de mer. Jean-Michel, le chef, s’est pour ainsi dire fait tout seul. Un self-made-man. "Je me suis organisé mes propres stages en visitant les meilleurs restaurants de l’île" nous confie-t-il, pas peu fier, ce qui lui a permis de glaner des informations ici et là auprès des chefs réunionnais. Et puis il y a le talent. Et puis il y a madame. "Bernadette, c’est la spécialiste des poissons". Une tradition familiale. "Moi, c’est la viande", ajoute Michel. Il parait qu’on fait des kilomètres pour son canard braisé. L’établissement peut accueillir jusqu’à 400 personnes ! La terrasse en bois, avec son bar au milieu, borde les eaux vives où de temps à autre, on voit passer les adeptes de rafting, encasqués et trempés, dans leur combinaisons voyantes. Des chaises longues ont été disposées là pour digérer, les doigts de pieds en éventail. Des tables joliment dressées attendent les convives. Le personnel en uniforme s’occupe des clients déjà arrivés avec sourire et professionnalisme. A l’arrière, des tables hautes, design, en fibres naturelles, sont disposées à même le gazon, sous l’ombre des chapiteaux et des palmiers, à proximité d’un vaste espace dégagé destiné à l’atterrissage des hélicoptères d’Hélilagon pour leur circuit baptisé Héli-Resto. Juste à côté, une autre terrasse avec des sièges et un hamac. "C’est l’espace hamam et massage", commente Romuald Lhomond, l’héritier. "On va organiser des soirées "enterrement de vie de jeune fille"". Avec un cadre comme celui-là, la demoiselle pourrait faire d’une pierre deux coups et réserver pour le mariage ! Nous sommes installés à deux pas de l’eau courante, et c’est Tia Carrere en personne qui vient s’occuper de nous, enfin son sosie ou pas loin. Voici le menu du jour, pour 38 euros : trois entrées, plats et desserts au choix entre : salade de palmiste, duo de achards, gratin de chouchou, poulet palmiste, rôti de coq au chou de coco, cary de camarons, bouillon coquilles et un supplément de 6 euros pour le cari de poisson rouge et le cari de bichiques. On les entends déjà, au fond, les Harpagons du dimanche pousser des hurlements de chèvres qui ont vu le loup. Est-il vraiment nécessaire de préciser que tous les produits préparés par les Lhomond sont frais ? Pour ce qui est du cadre, la prose qui précède en est une bien pâle description. Pour ce qui est du goût (oté !) nous allons vous en toucher un mot ou deux ci-après. Vous en aurez pour votre argent. 

Le duo de achards est un réveil-papilles. Le palmiste jaune safran, à la saveur du tubercule éponyme, accompagne un poisson émietté fin, assaisonné aux épices, assez tendre malgré sont aspect sec, et qui nous rappelle son cousin chatini de requin seychellois. Le gratin de chouchou est une lasagne de yab pour végétarien. Le légume coupé en fines lamelles entrelacées est mis en valeur par une béchamel onctueuse mais pas envahissante, que vient chapeauter un croûtage de fromage puissant, à apprécier en dernier, s’il vous plaît, pour laisser le chouchou s’exprimer pleinement. Un verre d’eau pour calmer tout ça, avec la salade de palmiste fraîche et délicatement croquante et sa vinaigrette qui fleure bon l’huile d’olive et l’amande douce. 
Virevoltage de plats. Coq, poisson et bichiques entrent en scène. Le poisson rouge est déjà un poème à lui tout seul. Dans sa sauce liante et parfumée, il présente tout de suite son certificat d’authenticité et de fraîcheur par sa texture unique, souple, qui diffuse en continu ses arômes d’océan. Les bichiques lui donnent la réplique avec bonheur. Visiblement tournés de main de maître dans leurs épices roussies sans eau, les alevins libèrent leur odeur caractéristique et sont bien glissants sous la dent, tonifiés par un sel dosé au microscope électronique, et qui s’évanouit comme par enchantement en fin de mastication. De la magie.


Mais les deux plats ne seraient "que" excellents si nous ne les avions dégustés sans le le piment vert "crasé" (indispensable) et surtout le rougail d’orangine. Le fruit (à mi-chemin entre la clémentine et la lime) coupé en fines tranches et pimenté au poil, leur transmet généreusement une acidité teintée d’une fragrance complexe, presque changeante. Les caris s’en trouvent tout à coup magnifiés, transcendés même, et la richesse gustative finale du mélange nous laisse la larme à l’oeil et les narines en bouche de métro, pour que l’air frais et piquant chargé de molécules d’eaux vives puisse accrocher à nos sinus le souvenir olfactif de ces merveilles. 
Bien émotionnés, nous terminons avec le rôti de coq, qui a lui aussi son passeport "fermier". Une viande rouge-mauve qui accroche un peu l’os et un fumet corsé qui nous rappelle les odeurs de fond de vieilles marmites noires des cuisines au feu de bois où mamie, cassée en deux, le mouchoir dans une poche sur le chapelet qui ne la quitte pas, évalue d’un oeil rougi par la fumée la cuisson du défunt volatile, occi dès potron-minet après un ultime "cocorico". Le réveil-matin emplumé, qui courait derrière cocotte, n’aurait certes jamais songé se retrouver ainsi accommodé avec un chou de coco. Mariage réussi, sans aucun doute, puisque le chou, plus goûtu que son cousin palmiste nous livre comme avec respect sa texture fondante et veloutée, emballant le coq comme il en fut de mamie par son homme au bal la poussière quand leurs rhumatismes étaient encore une vue de l’esprit. Son côté douceâtre associé au rôti rappelle la confiture d’oignon sur du foie gras. Le temps de nous rasséréner, les goyaviers du dessert sont servis dans une coupe, avec un fond de jus citronné et des feuilles de menthe. Rien de tel après un repas pareil que l’acidité sucrée franche et savoureuse du fruit mûr, dont les Mondon de la Plaine nous ont édifié le mois dernier.



Que dire d’autre sinon que nous vous laissons vous faire votre propre opinion sur ce lieu magique, sur les Lhomond, ces gens adorables et profondément généreux qui cuisinent pour les autres comme pour leurs propres enfants. Et quand vous aurez terminé votre repas, avant de retourner dans le monde réel, plongez donc les pieds dans cette eau vivifiante qui vous a accompagné de sa musique tout le long de votre dégustation, comme pour une bénédiction finale de cette mère nature réunionnaise qui vous a régalé de ses produits frais et vrais.



Les Letchis / 42, Ilet Danclas, Bras-Canot / Tél : 0262 50 39 77 - 0692 66 55 36. www.lesletchis.com



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LE MANGE-TOUT


Après le nord, et le Vent d'Est à Sainte-Marie, aujourd'hui c'est au sud que nous vous proposons de découvrir un restaurant, et il s'agit en l’occurrence du Mange-tout, ayant pignon sur la rue Marius-et-Ary-Leblond, à l'angle de la rue Alfred Isautier.
L'établissement propose de la cuisine métropolitaine sous la houlette des Joly père et fils, Patrick et Remy, respectivement gérant et chef cuistot. Le jeune Remy, 24 balais au compteur, ayant fait ses études à l'école hôtelière du Mans, a été le padawan du chef Didier Philipot, lequel officie actuellement chez les rosbifs, à Birmingham exactement... Après un passage à Bora-Bora, Remy atterrit au Saint-Alexis, pour finir à deux jets d'ail de là, à Saint-Pierre, avec le pater. 
Le Mange-tout affiche 32 couverts dans sa petite et cosy salle avec des tables d'anges décorées. On y est confortablement assis dans des sièges bien rembourrés, parfaitement adaptés aux épais dont nous sommes. La carte est riche, avec une formule du midi dont la souplesse l'adapte à toutes les bourses. 
Le menu s'étage entre 12 et 35 euros par personne, selon l'occasion, votre faim et le rebondi de votre porte-monnaie. Pour ce dernier prix pour pourrez avoir des Tranches de saumon gravelax, segments et purée d'agrumes et herbes du jardin et l'Espadon rôti en croûte d'herbes, pomme de terre boulangère au chèvre, sauce tomate à l'huile d'olive et vinaigre de xérès. A la carte vous trouverez entre autre le Tempura de thon rouge mi-cuit aux copeaux de parmesan, tartare de fruits exotiques, crème fraîche au herbes et sauce pistou avec comme entrée pour les nostalgiques des fêtes la Trilogie de foie gras (Tranche de foie gras poêlée aux baies roses, condiment ananas ; Foie gras mi-cuit aromatisé au rhum et vanille accompagnée d'un pain de mie abricot-noix ; Macaron à la crème de foie gras). Une carte qui fait la part belle aux produits de la mer.

Qualité et simplicité
C'est le père Joly qui est au service. Nous entamons le repas avec une mise en bouche, du carpaccio de saumon bien rond et rafraîchissant, avec du corps sous la dent. C'est assez pour nous introduire aux entrées, une salade « César » (croûtons, copeaux de parmesan, salade croquante­ et vinaigrette césar) et des rillettes de la mer et toast au pain de mie abricot et noix. On commence à se rendre compte que le Mange-tout sait faire valoir la qualité dans la simplicité. 
La salade est de laitue, de parmesan et de croûtons donc composée. Tout cela dans une vinaigrette savoureuse. Le parmesan roule des mécaniques en tout Italien qu'il est, et se marie très bien avec les croûtons parfaitement grillés, mais pas gras, qui nous laissent en finale un vague parfum de biscuit sortis du four. Les rillettes, de bon "thon", sont légères avec leur humeur de fines herbes, comme si les odeurs de méditerranée du mistral se mariaient avec la marjolaine et l'oseille des campagnes méridionales odoriférantes d’Alphonse Daudet.
La suite se compose de brochettes de poisson et de poulet, avec lait de coco et cacahuètes pour ce dernier. Poulet et cacahuètes, c'est un mariage qui fonctionne toujours, nous créoles le savons. Toutefois ce couple a en général tendance à une certaine massivité digestive. Le genre de truc qui vous cale. La présente brochette ne prétend pas à ce résultat mais plutôt à nous faire apprécier la bonne tenue d'une viande blanche mais souple, accompagnée du goût entêtant de l'arachide que viendra calmer le bien glissant riz grain long servi en accompagnement. 
Saveurs vraies
Brochette de poisson du moment au gingembre, crème fraîche aux herbes. Le poisson est particulièrement goûteux. Soutenu par quelques poivres rouges éparpillés, il expose à nos palais exaltés une chair mi-cuite encore tendre et fine ayant conservé tout son arôme. Les morceaux d'ananas un peu cramés sur les bords viennent y ajouter un enchantement sucré et légèrement amer à la fois, donnant au poisson toute son ampleur. La crème fraîche lie à merveille le poisson et l'ananas comme des époux devant le maire. Tout cela devient d'autant plus olfactivement intéressant lorsqu'un grain de poivre rouge expire, écrasé sous les molaires du fond.
La tartelette streuzel (crumble) à la mangue et son sorbet framboise et le brownie maison aux cerneaux de noix ferment la marche. Accompagnés d'un café serré, histoire d'apporter un point final énergique et sucré à la dégustation.
Au Mange-tout l'on cultive avec assiduité l'art de la dégustation de produits frais avec des saveurs vraies. On y retrouve le goût des aliments, dans leurs plus authentiques atours, avec des associations étudiées au bénéfice de toutes les parties. Simple et bon, pour résumer. Des dégustations mensuelles (les jeudis) vous feront découvrir toute la palette des bons petits plats concoctés par le chef, pour la modique somme de 27 euros. Est-il nécessaire de vous avertir qu'une réservation bien anticipée est le sage réflexe pour espérer y promener vos papilles ? Si vous souhaitez en savoir davantage, rendez-vous sur le site www.le-mange-tout.fr, fort bien fait et très complet. Et si d'aventure l'art de la cuisine vous chatouille, des cours vous sont proposés. Internautes et facebookés sont tenus informés des animations du Mange-tout, qui n'hésite pas à innover pour se démarquer des poncifs de la restauration. Une adresse à garder indubitablement.

Le Mange-Tout
53 rue Marius et Ary Leblond, Saint Pierre
Tél : 0262 44 68 76



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Au Comptoir du potager, 
nouvelle adresse fraîcheur du chef lieu

Rodolphe Boyer, le Chef du Comptoir
Bas de la Rivière. Ce quartier de Saint-Denis était un désert de la gastronomie (si l'on excepte quelques snacks à barquettes), ce n'est plus le cas depuis quelques jours, avec l'ouverture du Comptoir du potager, sous la houlette de Maya Ramassamy, flanquée de son jeune chef Rodolphe Boyer. Ce dernier, 23 ans au compteur et la patate qui va avec, n'a pas attendu le nombre des années pour se forger une expérience professionnelle à l'âge où d'autres renient leurs géniteurs en vitupérant contre les profs, la société et leur dermato. L'ami Rodolphe, lui, a sévit au Temps des mets puis à l'Artocarpe avant de jouer ses gammes sur le piano du Comptoir, un retour à la cuisine après un épisode pâtissier. Un arc plein de cordes et la foi aussi. C'est ni plus ni moins qu'un voyage à la (re)découverte des saveurs naturelles (et bio) de nos produits locaux que le jeune chef nous propose, et les invités à l'inauguration jeudi soir en ont eu un aperçu rafraîchissant.
Le comptoir peut accueillir une vingtaine de gastronomes en herbe, et propose aussi la livraison de votre déjeuner au bureau, en vélo électrique s'il vous plait. Concept original : moyennant 21 euros de caution, et une carte de fidélité, vous pourrez disposer d'une "lunch box" top design pour vous faire servir les petits plats parmi lesquels on compte une "fraîcheur de crevettes", une "brousse d'herbe fraîches", du "thon basquaise", un "cake au légumes" ou un "minestrone de fruits", entre autres joyeusetés de saison. Tout cela vous coûtera un radis ou deux, soit entre 6 et 12 euros, sans crainte des bringelles, puisque deux parkings sont à proximité. Le comptoir est ouvert du lundi au vendredi de 7 à 16 heures et sur réservation le soir, avec un service traiteur pour mettre les pieds sous la table quand vous recevrez Mimose et sa clique, histoire de leur en mettre plein la vue à votre tour ! Nous vous en souhaitons une excellente dégustation.

Le Comptoir du potager, bas de la Rivière (juste avant les rampes qui mènent à la rue Lucien Gasparin). Tél : 0692 85 59 31. Mèl : aucomptoirdupotager@gmail.com

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Le Blue Margouillat
ou un chef à l'épreuve du chocolat
[Soirée en novembre 2012]

Mascarin, notre chocolatier péi, fête cette année ses 20 ans. C'est à un repas d'anniversaire un peu spécial auquel nous étions conviés ce vendredi, et pas n'importe où  : au Blue Margouillat, s'il vous plaît, charmant petit hôtel étoilé perché au dessus de Saint-Leu, et dont la réputation d'excellence gastronomique a fait le tour de l'île avant de «  dessot' la mer  ». Une agréable parenthèse dans le cycle habituel de nos critiques gastronomiques créoles. 


Le chef et cogérant de l'hôtel, Marc Chappot, 39 ans barbus et la passion de la cuisine chevillée au corps, nous accueille avec le sourire. L'homme transpire une assurance tranquille et bonhomme quand nous le questionnons sur l'objet principal de notre venue  : déguster un menu complet préparé avec du chocolat Mascarin. «Le chocolat n'est pas évident à travailler avec des produits salés» concède-t-il, nous révélant que si certaines préparations sont simples à réaliser, la plupart nécessite une certaine «bouteille» avant de s'y atteler. Doigté, délicatesse et subtilité sont de rigueur, surtout avec un chocolat à 43% de cacao, relativement sucré, comme le Mascarin qui est mis à contribution ce soir. Nous qui nous imaginions déjà avoir à faire à de la nouvelle cuisine un peu osée, sommes un peu plus rassurés.
En attendant les autres invités nous visitons les lieux. Ceux-ci affichent un luxe colonial non ostentatoire au travers d'une décoration de qualité. Le calme et la sérénité sont les premiers locataires du Blue Margouillat, et ce n'est pas le livre d'or qui dira le contraire, tout rempli qu'il est de témoignages de nombreux couples à la recherche d'un nid douillet pour amoureux transis. Le service n'est pas en reste  : attentionné, scrupuleux, et discret.
Nous prenons place à la belle table qui nous a été réservée après un apéritif au bord de la piscine, où nous avons préféré miser sur un breuvage léger et non alcoolisé à base de citronnelle afin de nous rafraîchir tout en réveillant nos papilles. Le ballet commence. Voici la mise en bouche  :
Noix de Saint-Jacques rôtie en croûte de chocolat amer et thym frais. Velouté de citrouille aux épices.
La noix de Saint-Jacques est souple et libère sa légère saveur marine sous la dent, appuyée en fin de bouche par le chocolat dont l'amertume disparaît très vite en point de suspension. Dans ce chant, la citrouille veloutée donne de la voix, et pas qu'un peu, ajoutant du caractère au fruit de mer bien davantage que le chocolat lui-même par un apport sucré tout en finesse. La mise en bouche a  joué son rôle  : nos sens du goût et de l'odorat sont bien émoustillés.
Voici donc l'entrée  : Ballotine de foie gras de canard marbré au chocolat noir. Réduction de porto et vinaigre balsamique. Chutney de fruits exotiques et saladine de palmiste rouge.
Nos lecteurs de la critique gastronomique dominicale le savent  : nous nous revendiquons intégristes du palmiste  ! Nous regardons donc la saladine d'un œil circonspect. Au contraire de nos confrères nous ne l'apprécions que modérément, même avec le chocolat blanc qui vient équilibrer l'acidité de la vinaigrette dont le palmiste est oint. En revanche le mélange du chutney acide-sucré au doux parfum d'ananas et du magnifique foie gras nous procure un orgasme gustatif. L’abat noble s'en trouve transfiguré. Le chocolat inclus dans le foie gras en fines pellicules est très présent au nez, conduisant les autres parfums comme une locomotive ses wagons, mais ne se manifeste en bouche que de loin, comme un souvenir, après l'écrasante vague de sensations provoquées par notre mélange. Les sourires de contentement s'affichent. La suite ne tarde pas.
Noisette de filet d'agneau marinée puis poêlée au paprika et aux poivres rares. Sauce au vin rouge et note de chocolat noir. Tartine de pain au cacao et légumes grillés.
La noisette d'agneau est saignante comme l’orthodoxie ovine l'exige, le premier coup de couteau libère son odeur riche et forte, recherchée des connaisseurs. Ce plat nous propose tour à tour plusieurs sensations gustatives et olfactives, entre la légère amertume croquante du pain au cacao renforcé par les légumes grillés et le côté un peu plus doux de la moelleuse viande, qui, mélangée à la sauce, laissera, comme pour les plats précédent, le cacao s'exprimer en finale. Le contentement se change en béatitude. Le dessert est servi. 
Nage d'ananas Victoria cru et confit. Éclats de chocolat lacté. Crème brûlée au chocolat blanc. Rafraîchi d'une glace maison chocolat noir et à la fève de tonka.

Et ce n'est plus un dessert, c'est une peinture impressionniste composée de milliers de petits points de saveurs et de textures différentes et associées. La glace maison est crémeuse, très ample, jouant avec l'ananas un jeu qui nous affole les papilles, que nous calmons avec la sage crème brûlée, raisonnablement sucrée finalement malgré le chocolat blanc. Fin du ballet. Retour à la réalité.
 Le chef Marc Chappot, élu fourchette d'or 2012 du Club des Uniques,  nous a fait la démonstration de son talent et de sa sagesse, en accommodant le chocolat Mascarin associé au cacao amer à ses créations culinaires, pêchant presque par manque d'audace. Paradoxalement nous sommes restés un peu sur notre faim pour cause de l'absence de cela même que nous redoutions de rencontrer  : une association «  chocolat-mets salés  » plus osée et franche du collier. Mais au final, c'est Marc Chappot qui a eu raison. Raison de jouer cette partition chocolatée avec subtilité, maîtrise et délicatesse, donnant au mot «dégustation» toute sa substantifique moelle, poussant notre exercice dans ses retranchements, nous forçant à détecter la nature fondamentale de l'intérêt du mariage chocolat et plats salés  : la découverte d'une autre dimension de l'art culinaire.

AUDACE ET CREATIVITÉ
Mascarin fête ses 20 ans et n'est pas à court d'idées, bien au contraire. «  Nous avons choisi le Blue Margouillat pour sa réputation  », nous confie Idaline Boyer, la responsable marketing, qui se félicite que Marc Chappot ait pu relever le défi. Et celui-ci d'affirmer, racines suisses à l'appui, que notre chocolat péi, bien que petit poucet à côté des poids lourds comme Lindt ou Nestlé, n'a pas à rougir de la comparaison avec ses aînés.
Les Réunionnais ont mis à l'honneur cette année la gamme dégustation de Mascarin, qui est passée devant celle des chocolats fourrés en terme de vente. Cette dernière est toujours plébiscitée, surtout les parfums «  letchi  » et «  goyavier  ». La star  : le chocolat au lait caramel et sel de Saint-Leu.
Six nouvelles références sont en cours d'étude dans le laboratoire du chocolatier portois. Nul doute que cette équipe motivée et imaginative saura nous préparer des produits de qualité pour le plus grand plaisir de nos sens, et de ceux des gourmets d'Inde et de Chine vers qui Mascarin se tourne à l'exportation.



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