Le mot du mois

LE MOT DU MOIS

"Manger, c'est incorporer un territoire".

Jean Brunhes, géographe français (1869-1930)

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"Au fond des provinces, il existe des Carême en jupon, génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie".

de Balzac, La Rabouilleuse, 1842.

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"Les animaux se repaissent, l'homme mange, l'homme d'esprit seul sait manger"

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826).

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samedi 5 décembre 2015

Le Franciscéa

JUSTE UNE BONNE TABLE

Avril 2011. Nous sortons du Franciscéa passablement déçus. Service aléatoire, plats moyens. La fourchette en inox était tombée. Précisons que le système de notation étant à ses début, cette fourchette n'était pas encore considérée comme une mauvaise note telle qu'elle l'est aujourd'hui. Une mise à jour s'impose donc. 

C'est en cette orée de décembre que nous décidons d'aller remettre les pieds sous la table du Franciscéa, dans ses murs de case créole, un peu plus défraîchis par endroit, derrière l'église de Saint-André. L'intérieur est toujours aussi confortable, sobrement mais gaiment décoré. L'accueil est souriant et courtois. Nous nous installons et l'on nous apporte la carte. 
Trois menus s'affichent : créole, métro et chinois. Neuf caris créoles suivent cinq entrées. On pourra y trouver un rougail zandouille, un cari de porc au palmiste frais, un cari de canard fumé pays, un civet de cerf pays au whisky et aussi notre prisé cari bichiques, signalés « selon saison » donc frais, quand il y en a. Dix-huit plats chinois sont proposés, qui suivent six snacks dont du calamar frit ou des beignets de songe, pour les amateurs. 
Le menu métro quant à lui affiche également six entrées et pas moins de dix plats. Au programme : pâvé de biche, côte de bœuf grillée avec accompagnements variés. Calculette : 37 plats et 17 entrées, sans compter les desserts et les (chers) menus enfant. Beaucoup de choix donc, mais à moins qu'un bataillon ne séjourne en cuisine, le surgelé est de rigueur à tous les étages, menu du jour (peut-être) excepté.

 Nous nous décidons pour une salade et un gratin de palmiste, suivis d'un Coq massalé et d'un pavé de saumon. Deux coktails sans alcool plus tard, les entrées sont servies.

La salade est fatiguée. En effet les morceaux de palmiste effilés présentent des traces brunes à leurs extrémités, et leur couleur n'est pas le blanc-crème éclatant qui est censé lui seoir. Au goût, rien de transcendant, la saveur lactée du cœur se serait mieux exprimée avec davantage de croquant, donc une découpe différente. Il faut arrêter de ne présenter que des filasses de palmiste sous prétexte que ça fait joli : on ne sent rien ! La vinaigrette, Dieu merci proposée à part, est à utiliser en mode homéopathique, vu sa dose d'acidité, si on veut sentir le palmiste. Mais il est vrai que certains préfèrent cette salade bien relevée. Autant dire que le produit devient alors un simple support pour mastiquer de la vinaigrette ! Nous terminons l'assiette, mais tout cela semble un peu expédié. 


Le gratin fait bien mieux. Bon équilibre entre la quantité de palmiste et la béchamel, un fromage qui nous dilate les narines mais ne s'impose pas en bouche, et le tout, jaune curcuma, ne manque pas d'épices. C'est presque à croire que l'affaire a été préparée dans un fond de cari qui n'est pas sans rappeler, par certains côtés, la cuisine des cousins mauriciens, avec leur curry entêtant. Cela donne un gratin créole de caractère, très enlevé, que nous avons exterminé avec plaisir. 


Le coq massalé est bon dans l'ensemble. La viande est assaisonnée d'un massalé équilibré, goûteux, complexe, et pas trop agressif, qui laisse le caloupilé s'exprimer, à tel point que ce dernier nous chante dans les sinus son refrain fumé et piquant. Tout cela est bien mis en valeur par une jolie sauce épaisse, au fond d'huile discret, et par un sel qui n'est pas très loin de prendre ses aises, mais qui reste juste en deça de la ligne rouge. Dommage en revanche que le gallinacé n'ait pas fréquenté de basse-cour créole digne de ce nom. Il n'a pas le sang bleu, palsembleu. Sa chair présente en effet l'avachissement ordinaire des viandes de batterie. Frais, il l'était sans doute, comme indiqué sur la carte (peut-on espérer) mais son goût typique est aux abonnés absents tant est si bien qu'on pourrait douter de son yang. 

Le coin de l'assiette est ébréché...
... ainsi que la carafe d'eau ! Il y a du laisser-aller !
Le poisson a davantage d'envergure. La chair rosée du saumon nous lance ses puissants atours gustatifs avec une certaine longueur en bouche qui se termine sur des notes grillées. Le beurre au baies roses nous semble presque trop velléitaire dans son besoin d'exister, au détriment des saveurs de la belle chair du saumon. Les accompagnements sont corrects, mais un peu bavards en sel surtout dans la la tomate. Le riz safrané, façon pilaf, répond en écho au gratin de palmiste, avec des revendications indiennes sous-jacentes. Il accompagne bien le saumon. Pas grand chose à dire sur le riz servi avec le coq, en grains longs indépendants, mais mention spéciale pour les haricots blancs crémeux, très parfumés, avec un velouté qui n'est pas sans rappeler la surface des dhall. Le rougail tomate est pareillement ensoleillé. On retrouve le bon goût de tomate au pilon, avec un piment présent mais respectueux, le tout laissant cette sympathique petite acidité sur la langue qui appelle d'autres cuillérées. 


Nous prenons le dessert par pure conscience professionnelle. Deux tranches de gâteau tison avec quelques morceaux de papayes épars. Une petite crème anglaise ou une chantilly auraient été les bienvenus en accompagnement, signant une once de dressage de bon aloi, mais fort malheureusement inexistant aujourd'hui. Tarif pour deux apéritifs, deux entrées, deux plats, deux desserts, deux verres de vin, et deux cafés : plus de 90 euros. Soit la totale à 45 euros par tête. Un tarif peut-être acceptable quand la qualité est au rendez-vous du début à la fin, ce qui ne fut pas forcément le cas. Cher donc. 

Et c'est bien le dressage général qui pèche en premier lieu. Dans un cadre comme celui-ci, et avec des tarifs tels que ceux-là, on est en droit d'attendre des assiettes plus jolies à l'œil. Il faut bien le dire : c'est basique. Le service, pour sa part, a fait un vrai bon en avant. Mais attention quand même à vérifier la vaisselle quand on la pose sur la table : le pichet d'eau ébréché, c'est moyen. Enfin, la qualité de la cuisine a quelque peu progressé, dirions-nous. Mais bien trop timidement. La faute sans doute au sempiternel (mauvais ?) choix stratégique de vouloir proposer pléthore de plats, et de céder un peu trop aux exigences de rentabilité. Dommage, car il y a largement matière à faire mieux, beaucoup mieux. Considérant la qualité globale satisfaisante, bien qu'encore insuffisante, nous décernons au Franciscéa une fourchette en argent d'encouragement.


Pour résumer : 
Accueil : Très bien • Cadre : bien • Présentation des plats : moyen
Service : bien • Qualité des plats : bons • Rapport qualité-prix : perfectible.

IMPRESSION GLOBALE : BONNE TABLE



Le Franciscéa 56, rue Payet (derrière l'église) Saint-André
Tél : 0262 46 26 55

La présente critique a été réalisée le 1er décembre 2015, à partir de midi, et ne prétend pas être une vérité absolue et définitive. Notre point de vue est subjectif, par nature, mais parfaitement honnête. Nous certifions n'avoir aucun rapport de près ou de loin avec les propriétaires de ce restaurant et aucun intérêt à attribuer à ce dernier une bonne ou une mauvaise note. Dans tous les cas, le restaurant dispose d'un droit de réponse.


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